Culture et GN

Introduction

Pour comprendre la place de la culture dans le thème de cette recherche autour de la notion de dispositif ludique à travers l'exemple du jeu de rôle grandeur nature, il faut définir les termes avant d'engager une réflexion sur ce sujet.

Le jeu de rôle grandeur nature, abrégé en GN dans la suite de ce dossier, est un jeu dans lequel les participants interprètent physiquement des personnages. Ces participants improvisent les comportements de leur personnage et interagissent entre eux selon une situation prédéfinie. Un GN ne s’adresse pas à un public extérieur mais à ses participants qui sont à la fois les acteurs et les spectateurs du jeu. Les comportements peuvent être interprétés en suivant des règles de simulation. Par exemple, le combat peut être simulé au moyen de règles précises et de l’usage d’armes factices. Un GN peut nécessiter que ses joueurs se costument et évoluent dans des décors propres à la situation de jeu comme un château pour une époque médiévale. Le but d’un GN n’est pas de gagner ou de perdre, mais de prendre du plaisir du fait de jouer.

En 1974, une nouvelle façon de jouer voit le jour avec la naissance du jeu de rôle Donjons et Dragons, le but du jeu est alors d'incarner un personnage au sein d'une aventure épique dans un univers imaginaire. C'est à la fin des années 1970 que des passionnés de jeux de rôles sur table aspirent à voir vivre en vrai, en grandeur nature, leurs personnages et leurs aventures. C'est ainsi que le premier jeu de rôle grandeur nature va avoir lieu en Angleterre. Quelques années plus tard, la communauté de joueurs français crée son premier GN avec l'association stratège et maléfice qui fait naître cette activité en France en 1985. Depuis, la communauté de joueurs ne cesse de s'agrandir et s'institutionnalise avec la naissance en 1996 de la fédération française de jeu de rôle grandeur nature qui obtient en 2001 l'agrément Jeunesse et Education Populaire de la part de ministère de la jeunesse et des sports. Actuellement, selon la Fédération française de GN, il existe environ 200 associations françaises et une communauté d'environ 20 000 passionnés qui pratiquent cette activité à intervalles réguliers1.

Supposons que la culture soit ce qui nous oppose à un état de Nature. Supposons que la Nature est ce qui est étranger à nous. La culture serait alors une façon de voir de la singularité au sein même de la diversité. Mais nous pouvons aussi supposé que la culture est ce qui s'oppose à l'ignorance, ou alors simplement que la culture correspond aux différentes pratiques culturelles des français comme l'usage de la télévision ou les pratiques amateurs2. Il n'en reste pas moins un objet difficile à définir. Le parti pris au sein de cet écrit est de comprendre le mot culture comme le définit l'anthropologue américain Robert Redfield :

« Par le terme de culture nous désignons l'accord mutuel sur les idées conventionnelles, manifestes dans les actions et les objets qui caractérisent toute société »3

L'analyse effectuée ici rapproche le sujet du jeu de rôle grandeur nature à la notion de sous-culture définit par le professeur Richard Hoggart comme la culture d'un sous-groupe ayant ses caractéristiques propres4. Il faut rajouter que la sous-culture désigne un groupe dont les façons de penser et d'agir lui sont caractéristiques mais qui partage cependant les grands traits de la culture globale tout comme cela a été définit par les disciples de l'école de Chicago avec leurs études sur les différentes communautés pour comprendre la société américaine dans sa diversité. Selon les critères décrits par H.Becker et selon nos recherches, nous pouvons dire que les Gnistes, individus constituant les pratiquants, joueurs ou organisateurs, du jeu de rôle grandeur nature, constituent une sous-culture à part entière. La première partie de cet écrit se chargera de définir les différentes singularités signifiantes à cette communauté à travers des codes spécifiques, des références intellectuelles partagées, un réseau d'information, des savoir-faire particuliers, l'identification d'un ennemi commun. Par la suite, il y aura une réflexion autour d'une hypothétique catégorisation comme déviance avant d'avoir une réflexion sur la notion de culture.

1Les indices d'une sous-culture

Afin de pouvoir qualifier le jeu de rôle grandeur nature comme l'activité d'une sous-culture spécifique, il nous faut rapprocher à travers cette recherche les concepts clefs de sous-culture avec les spécificités de cette pratique ludique.

1Un langage

La notion de code commun à un groupe social peut s'identifier à travers un vocabulaire spécifique à une activité ou à une communauté. Prenons l'exemple de l'utilisation des termes « cuir » et « latex » qui sont des matériaux qui évoquent dans les représentations sociales le sadomasochisme. Pour cette sous-culture, la définition est différente. Le cuir est perçu pour désigner la matière nécessaire pour la confection de costume et le latex est la substance nécessaire pour recouvrir les épées en mousses pour favoriser leur pérennité et leur réalisme. Ceci est un exemple mais il existe tout un vocabulaire spécifique à cette activité qui permet la cohésion au sein de cette communauté. Dans le vocabulaire couramment employé, il est tout à fait possible d'entendre parler de fair-play, de GNS, de Jeep form, de scénar, de Peuneujeu, de Zorgas etc. Il existe comme fondement de cette sous-culture un vocabulaire qui permet de différencier le noob (le néophyte ou l'étranger) du joueur expérimenté ce qui renforce cette synergie.

En effet, la sous-culture se caractérise par le fait que ses membres ont en commun des codes et des conduites qui font d'eux une communauté à part entière. Howard Becker souligne d'ailleurs qu''avoir des attributs et un vocabulaire est caractéristique des sous-culture pour marquer leur synergie. En parlant des musiciens de Jazz, il explique que :

« le processus d'auto-ségrégation est évident dans certaines expressions symboliques, en particulier dans l'usage d'un argot de métier qui permet d'identifier rapidement l'utilisateur compétent […], et de reconnaître aussi rapidement « l'étranger » qui l'utilise de manière incorrecte ou pas du tout5. »

Il serait fort intéressant de s’arrêter sur le processus d'éducation et d'apprentissage de ses termes et de leurs significations puisqu'il s'agit d'un mélange entre une activité autodidacte grâce à l'outil internet et une transmission du savoir de la part des anciens joueurs envers les nouveaux joueurs. Cette transmission peut correspondre à un rite de passage du statut de néophyte au statut de joueurs mais cela fera l'objet d'un écrit différent.

2des références intellectuelles partagées

A chaque nouveau jeu, il y a un nouveau processus de création de l'univers, des règles et des personnages. Ce processus de création s'inspire d'une connaissance de l'imaginaire et de ses nombreuses références puisqu'il s'agit de créer un univers cohérent avec des connaissances existantes. C'est pourquoi il existe au sein de cette communauté une connaissance implicite à avoir pour analyser le jeu et comprendre les références culturelles présentes. L'exemple d'une histoire d'anneaux au sein d'une famille de noble pour les unir et dans les ténèbres les lier fait appel à l’œuvre de J.R.R.Tolkien et son ouvrage le seigneur des anneaux, si on voit une scène évoquant une révolte paysanne, on fait un clins d’œil à la série d'Alexandre ASTIER Kaamelott, si on découvre que le père de notre personnage est en réalité un ponte d'un empire totalitaire et qu'il possède un pouvoir surnaturel c'est une référence à Star Wars, l’œuvre de George Lucas.

C'est en s'inspirant d’œuvres de fiction que les organisateurs de ce genre d'événements créent leur univers ludique et c'est au joueurs de retrouver les références culturelles. C'est ainsi qu'un second processus de ségrégation se mettrait en place entre le néophyte ne possédant pas la culture nécessaire à l'activité et le joueur qui sait dans quelle structure imaginaire il joue. Il faut noter que la majeure partie de ces références font parties du monde de la Fantasy6, du fantastique ou de la science-fiction et que chaque joueur se devrait de connaître quelques références en terme de jeu et de références culturelles pour être un individu à part entière au sein de la communauté.

Les pratiquants connaissent les quelques faits marquant de cette sous-culture avec par exemple l'affaire Carpentras en 1995 et l'histoire de la profanation de tombes qui engagea une forte critique médiatique d'une activité méconnue du grand publique avec un lot de préjugés et de représentations sur une « activité démoniaque pour adolescents schizophrènes à la recherche de sensations fortes »7. Suite à cette médiatisation importante et un manque de reconnaissance institutionnelle, la création de la fédération française de jeux de rôle grandeur nature va naître. Il est possible de recenser aussi le flot d'indignation quand l'entreprise Murder2000 a déposé le terme de murder party8 à la chambre des brevets posant ainsi un cadre et des règles à une pratique à la base amateur. Le fait d'être fédéré derrière des faits « historiques » pour cette sous-culture appuie cet aspect de références intellectuelles communes.

Enfin, à travers ces références intellectuelles il y a éventuellement des valeurs intrinsèques à cette communauté : le respect du cadre ludique en acceptant la dimension fictionnelle de l'univers ludique, accepter de se prêter au jeu, de jouer le jeu avec ses contraintes et ses avantages, la volonté d'accepter de croire à une réalité différente où on voit dans l'autre non plus un collègue mais le héros venu d'un autre temps pour accomplir une quête et dans cet objet un artefact magique possédant un pouvoir démesuré. Cette activité se déroule loin de la rentabilité ou de la consommation de loisirs car pour un GN, il faut plusieurs mois de travail pour les organisateurs et plusieurs semaines pour les joueurs. Le GN se développe ainsi en marge du circuit de l'industrie culturelle, loin de produit rentables.

« Les jeux proposées peuvent être ouvertement expérimentaux, politique ou pédagogique. Ils sont issus d'une activité associative et multiculturelle, activité pratiquée par des centaines d'associations qui peuvent réunir de 5 à 7000 participants pendant quelques heures à plusieurs jours, qui naît souvent de l'impulsion de quelques amis qui s'entendront sur une vision commune et s'engageront dans une collaboration sur plusieurs années9 ».

3les réseaux d'informations spécialisées

Il existe autour de cette communauté des sources d'informations communes et distinctes organisées autour d'associations représentées sur le territoire français affiliées ou non à la fédération française de jeux de rôle grandeur nature.

Cette communauté fonctionne autour de magazines spécialisés dans lesquelles ils peuvent trouver autant d'informations sur les prochains événements, les prochains GN, les nouvelles idées, les concepts, les sites qu'il est possible d'obtenir pour jouer etc. Cette littérature spécialisée et souvent amateur permet tout autant d'apporter des débats critiques sur certains faits que de posséder un patrimoine personnel œuvrant comme preuve d'un intérêt pour cette activité et donc obtenir un statut différent au yeux des membres de cette même sous-culture. L'idée d'avoir tous les articles sur un sujet ou au contraire tous les magazines autour de ce thème apporte une légitimité dans son affirmation comme appartenant à cette communauté. Le sentiment d'appartenance transit autant par son intellect que par ses possessions terrestres.

Il faut ajouter à ce réseau d'informations l'existence de nombreuses conventions en France qui touchent le jeu de simulation en général avec des espaces dédiés aux associations de GN. Elles œuvrent autant à présenter cette activité au publique qu'à réunir les passionnés durant un espace temps en dehors du dispositif ludique. Pour exemple, les 1er mercredi de chaque mois à Lyon, les mercredis de l'antigel se présentent comme « un rendez-vous mensuel destiné à tous les joueurs et toutes les associations de GN de la région lyonnaise. Les Mercredis de l'Antigel, c'est une soirée conviviale, l'occasion de se tenir informé de ce qui se passe sur la planète GN, des animations régulières, bref que du bon.10 »

L'usage d'internet avec Facebook et de nombreux forums et espaces de discussions dédiés aux débats sur ce sujet favorise la création d'une culture avec des connaissances et des techniques communes, techniques souvent appliquées dans le cadre d'ateliers collectifs afin de s'enseigner et de partager les techniques manuelles connues.

4Des techniques

Cette sous-culture ne s'identifie pas qu'en terme d'un vocabulaire permettant de reconnaître le néophyte de l'expert, des connaissances partagées grâce à des références littéraires ou cinématographiques communes ou un réseaux d'information permettant d'avoir une actualité sur le sujet aussi bien sur les futurs jeux que sur les nouvelles techniques ou théories qui voient le jour. Il y a aussi des savoir-faire représentatifs de cette communauté.

Un art manuel qui consiste à réparer et à créer à moindre coût des objets ou des outils nécessaires aux individus, autant aux organisateurs pour leurs scénarios, qu'aux joueurs pour leur immersion dans le jeu avec peu de moyens. L'exemple type est l'utilisation de quelques cailloux pour créer un cercle d'incantation magique, avec un fumigène et des lampes de poches jouant le rôle de stroboscope pour créer un cercle d'incantation. Là où le théâtre, la danse ou l'opéra possède des scénarios connus de tous, dans cette pratique ludique, le scénario est inconnu et évolue suivant l'envie et les motivations des joueurs ce qui provoque un besoin d'adaptation de la part des organisateurs importants, ce qui se traduit par des techniques utiles et pratiques que beaucoup de gens connaissent pour améliorer la qualité du jeu et pouvoir évoluer en fonction des attentes des joueurs.

Des compétences en couture et en bricolage, car chaque participant doit venir avec un costume représentant son personnage inscrit dans une époque, dans un lieu et dans une culture spécifique. La création d'un costume par une costumière professionnelle étant hors de prix, la majeure partie des participants se retrouvent à confectionner un costume eux-même en se basant sur de la récupération ou sur internet et sa source de création infinie. Cette particularité s'applique aussi au bricolage. Les participants souhaitant dissimuler certaines technologies se doivent d'user d'ingéniosité et de débrouillardise pour cacher une montre ou un appareil nécessaire au joueur mais pas au personnage.

Tout cela traduit un sujet tacite derrière chaque joueur, chaque organisateur : un besoin d'évasion, de quitter la vie quotidienne.

5Un « ennemi commun »

« Une culture se constitue chaque fois qu'un groupe de personnes mène une existence en partie commune, avec un minimum d'isolement par rapport aux autres, une même position dans la société et peut-être un ou deux ennemis en commun. Il en va ainsi pour ceux qui, s'adonnant à l'héroïne, partagent un plaisir interdit, une tragédie et une lutte contre le monde conventionnel. »11

Appartenir à la sous-culture des joueurs de jeu de rôle grandeur nature, c'est le plaisir de pouvoir s'échapper du monde conventionnel, de sa violence et de son ordre, de ses dominations et de ses conventions. Au sein de cette sous-culture, on peut noter que tous cherchent à créer une utopie éphémère à travers un loisirs, ils s'évadent de leur quotidien pour vivre une aventure. Pouvons-nous interpréter cette quête comme une lutte intestine contre une société emploie à des symboles et des règles qui ne leurs correspondent plus et trouve au sein de ce loisirs le divertissement qu'ils cherchent pour comprendre la banalité de leur quotidien ? Cette pratique peut s'apparenter à la notion d'espace transitionnel dont parles D.W.Winnicott dans jeu et réalité12. Un espace, un monde où la réalité endogène à l'individu vient en interaction avec la réalité exogène qu'il vit pour créer une sphère symbolique ou il pourra s'épanouir à travers une forme d'art loin des tracas, des besoins et des envies de sa vie quotidienne.

2Une catégorisation comme déviante ?

Il est légitime de se poser cette question quand on connaît l'histoire du jeu de rôle grandeur nature en France. La fédération française de jeu de rôle grandeur nature a été créée en France suite à l'affaire du cimetière juif profané de Carpentras avec l'accusation sans fondement de la part de nombreux médias des joueurs de jeux de rôle comme « membres d'une secte satanique à la recherche d'émotion forte à travers des tentatives de suicide13 ». Elle devait à l'époque relier institutionnellement cette activité pour ne plus avoir à subir cette étiquette de jeunes délinquants souffrant de troubles mentaux et sociétaux.

Qu'en est-il actuellement ? à travers un dossier sur les représentations sociales autour de cette pratique, on peut noter que dans les médias le GN est perçu comme un loisir pour jeunes passionnés d'histoire ou de fantastique qui cherchent à vivre une aventure munis de jolis déguisements dans des endroits insolites.

Par contre la représentation des joueurs de jeux de rôle au sujet des joueurs de GN est différente. Pour preuve un passage d'entretiens cité dans le mémoire de Raphaël Pécheur, dans l'exigence partielle de la maîtrise en communication, intitulé La stigmatisation d'une sous-culture : étiquetage, marginalisation et déviance. Étude d'une communauté de joueurs de jeux de rôle parisiens. Il donne d'abord cette définition de la pratique du GN :

« Abordons d'abord le cas des jeux de rôle « grandeur nature » qui se jouent « en chair et en os » avec reconstitution, costumes etc. Et non pas autour d'une table. Ils n'ont du jeu de rôle que le nom qu'on leur attribue à tort par assimilation aux jeux de rôle sur table. Or, ils n'en sont pas et ne font que s'en inspirer. »14.

Il est bon ton de noter que ce discours cherche à diviser le jeu de rôle du jeu de rôle grandeur nature en incitant sur l'aspect inspiration du second sur le premier et enfin en oubliant l'aspect interprétation d'un rôle qui est nécessaire aux deux pratiques.

« Les gens faisant référence à ce genre d'incident [au sujet de l'affaire Carpentras nda] ne comprennent pas de quoi il s'agit. On leur dit « jeux de rôle » alors ils amalgament tout. Ces jeux n'ont rien à voir avec nos jeux de rôles, ce sont des murders-party ou des grandeurs natures, rien à voir avec nous mais les gens mélangent tout. C'est ça qui nous colle à la peau après. Non vraiment je ne vois pas comment on peut s'identifier à son personnage à ce point, ce sont des cas exceptionnels, des gens avec des problèmes sérieux. Faut faire la différence entre faits divers et vie réelle et surtout entre le jeu et la vie réelle15 »

Ce second extrait du mémoire de Raphaële Pecheur est issus d'un entretien semi-directif effectué entre le chercheur et un passionné de jeu de rôle sur tables. On peut voir ici deux niveaux d'analyses d'une part dans le discours de cet individu qui met en avant la séparation entre joueur de jeu de rôle sur table et joueur de jeu de rôle grandeur nature en appuyant l'aspect qu'il ne faut pas confondre les deux pratiques. Il narre ensuite qu'il ne comprend pas comment s'identifier à un personnage « à ce point ». Tout comme au théâtre, un joueur de jeu de rôle sur table ou grandeur nature, doit pour trouver un plaisirs au jeu s'approcher de ce que Roger Caillois appelle le mimicry ou le simulacre ludique, cette envie de jouer quelqu'un d'autre en l'imitant ou en l'interprétant. Dans l'univers du GN et du jdr, on nomme ça le « rôle play » qui est d'après beaucoup de joueurs un aspect du jeu plus qu'essentiel, cette envie de vouloir donner vie à son personnage en l'interprétant. Le second niveau d'analyse se positionne sur cet extrait choisi par l'auteur pour mettre en avant un propos tenus plus tôt dans son discours au sujet de la différence « entre le jeu et la vie réelle ». L'auteur prend le partis-pris que le jeu de rôle grandeur nature n'est pas du jeu de rôle et pour cela il s'appuie sur les discours de ses interviewés.

La société n'a pas étiqueté cette pratique comme étant un comportement déviant mais la sous-culture des joueurs de jeu de rôle sur table l'a faite car comme l'exprime H.Becker dons son ouvrage Outsider,

« leurs activités sont formellement légales, mais leur culture et leur mode de vie sont suffisamment bizarres et non conventionnels pour qu'ils soient qualifiés de marginaux par les membres les plus conformistes de la communauté 16».

On suppose ici que pour certains rôlistes se réunissant autour d'une table pour jouer à un jeu de rôle, ils ne conçoivent pas la possibilité d'avoir un comportement déviant de leurs pratiques. Ils n'envisagent pas briser les cadres conventionnels pour marginaliser leur activité en interprétant leurs personnages en grandeur nature avec des armes, des quêtes, de la transpiration et des émotions. Les Gnistes seraient donc catégorisés comme marginaux intrinsèquement par les joueurs de jeux de rôle.

3Réflexion autour du mot culture

Le jeu de rôle grandeur nature serait une façon de se mettre en marge de la culture actuelle à travers un divertissement où chacun devient acteur de sa propre histoire. Tout comme les fêtes de la musique à une lointaine époque où chacun venait dans la rue avec son propre instrument pour qu'ensemble se créé une envie de jouer. Le GN s'inscrit dans cette culture qui en s'aidant des références dans le domaine de la Fantasy va se recréer un monde, une utopie, durant le temps d'un jeu pour ainsi vivre occasionnellement en marge d'une société qu'ils cherchent à comprendre en utilisant des comparaisons car c'est en expérimentant un semblant d'univers carcérale ou un régime totalitaire qu'il sera possible de comprendre l'univers dans lequel on vit et ce que l'on subit symboliquement.

Cette pratique ludique pourrait s'inscrire dans la continuité d'un surréalisme ludique, même si les revendications ne sont pas aussi fortes et présentes. L'objectif est quand même de recréer un microcosme pour quitter la vie banale du quotidien de chacun et devenir un roi ou un fou. Ce microcosme s'inspire souvent autant d'un univers proche du fantastique, de la science fiction ou du féerique que des faits d'actualités en cherchant à tourner en dérision notre monde actuel dans un univers imaginaire.

Le plus complexe avec le mot culture et l'aspect le plus difficile de ce travail est de donner du sens à un mot qui n'en a plus. Certes il peut se définir en opposition avec la nature, il peut définir ce qui est pourvut de sens, il peut s'opposer à la technologie ou même être à la base des objets d'études des sciences sociales et humaines. Mais la culture n'est-elle pas dans une crise d'identité, dans un manque de représentation par un abus d'utilisation sans réflexion ni cohérence ? Il était facile de définir une sous-culture à travers des exemples concrets mais lorsqu'il s'agit de parler de la Culture, on se retrouve à imaginer les musées où l'innovation et la créativité sont omniprésentes, ou les galeries d'arts avec ces vernissages vides de sens mais avec des coupes de Kir royal pleines, ses théâtres où le symbolique dépasse les qualités du texte ou de l'acteur dans une démarche où seul l'individu cultivé peut comprendre le sens profond du choix du dramaturge et du créateur.

Ce qui amène la réflexion autour de la difficulté de corréler cette notion de culture avec la notion de jeu qui pourtant sont intrinsèquement lié comme l'exprime Johan Huizinga. Si la définition de la culture est la même que celle du ministère de la culture et de la communication alors le jeu par son inutilité et son manque de caractère innovant et créatif n'est pas une pratique culturelle. Pourtant tout le monde joue que ce soit dans une démarche de challenge, de hasard, de simulation ou de quête de sensations fortes. Nous sommes tous dans une logique ludique à certains moments de nos vies. Si la notion de culture est celle utilisée en anthropologie qui incite à opposer culture et nature alors le fait que certains insectes jouent place soit le jeu dans un rôle naturel, soit les insectes dans un rôle culturel. Le jeu est une activité difficile à définir et à cerner culturellement puisqu'elle renvoi à une pratique qui ne peut être considérée comme à l'origine de la culture tout en étant un objet de vulgarisation culturelle, les épées d'avants sont devenus les nouveaux jouets des enfants.

« Le jeu est un facteur fondamental de tout ce qui se produit au monde. Après avoir défini le jeu comme une action libre, sentie comme fictive et située en dehors de la vie courante, capable néanmoins d'absorber totalement le joueur et susciter des relations de groupes s'entourant volontiers de mystère, Johan Huizinga montre la présence extrêmement active et féconde de ce jeu dans l'avènement de toutes les grandes formes de la vie collective : culte, poésie, musique et danse, sagesse et science, droit, combat et guerre. Il se penche sur la nature et la signification du jeu comme phénomène de culture, tente d’expliquer la conception et l’expression de la notion de jeu dans la langue, sa fonction dans l’imagination. Sous l’angle du jeu, il traverse toutes les époques, dans différentes civilisations, pour finir sur l’élément ludique de la culture contemporaine. Articulant sa thèse autour des formes ludiques de la philosophie et de l’art, Huizinga démontre que le jeu est un phénomène culturel et pas simplement une perspective biologique, psychologique ou anthropologique17 ».

Conclusion

Pour conclure, la communauté de joueur de jeux de rôle grandeur nature se définit par différentes formes de singularité au sein de cette diversité de joueur, à savoir un vocabulaire spécifique qui permet autant de créer une synergie au sein même des joueurs que de reconnaître le néophyte du joueur expérimenté, des références intellectuelles partagées à travers une histoire commune, des valeurs et une connaissance du Fantasy nécessaire à la compréhension des références culturelles au sein des créations des organisateurs, un réseau d'informations spécialisées par des conventions, des magazines et des réunions régulières permettant de se tenir informés de l’actualité, des savoir-faire et des techniques afin de s'adapter à l'univers ludique et ses contraintes et enfin l'intériorisation implicite d'un ennemi commun interpréter par la banalité de la vie quotidienne.

Cette sous-culture a cette particularité de ne pas être étiquetée dans le processus de déviance par les politiques en places mais elle est une partie intrinsèque à la communauté des joueurs de jeux de rôle. Par l'aspect extrême de l'activité à vouloir jouer en vrai des personnages de simulation, l'étiquette « déviant » a ainsi été appliquée à la sous-culture des Gnistes par les joueurs de jeux de rôle.

Pour finir, il a été difficile de replacer la notion de jeu de rôle grandeur nature avec ma vision de la notion de culture. Non pas qu'elles ne coïncidaient pas l'une avec l'autre mais c'est essentiellement au sujet de cette problématique d'inscrire le jeu dans un processus de reconnaissance culturelle alors qu'il est difficile de définir la notion de culture et d'être en parfaite adéquation avec cette définition.

Il serait intéressant d'approfondir ce sujet d'une étude qualitative ou quantitative afin d'avoir une véritable recherche scientifique autour de cette communauté et de sa relation avec la culture et pas une simple ébauche présentée ici se basant sur une méthode ethnométhodologique non présentée dans ce rapport.

1Il faut noter ici que ces chiffres m'ont été transmis par la président de FEDEGN sans aucune donnés quantitative et ne sont présent ici qu'à titre informel.

2COULANGEON Philippe, les pratiques culturelles des français, 2005, Ed La Découverte

3REDFIELD Robert. The Folk culture of Yucanta, 1941, Ed University of Chicago Press, p.132.

4HOGGART Richard, La Culture du pauvre, 1970, Ed de Minuit, p.4

5 BECKER Howard, Outsiders,

6La fantasy couvre un large champs de la littérature classique et contemporaine, celui qui tient des éléments magiques, fabuleux ou surréaliste ; le romans situés dans les mondes imaginaires, avec des racines dans les contes populaires et la mythologie, jusqu'aux histoires contemporaines de réalisme magique, où les éléments de Fantasy sont utilisés comme mécanismes métaphoriques pour mettre en lumière le monde que nous connaissons. WINDLING Teri, in Préface à, the year's best fantasy and Horror, , 1991, Ed St. Martin's Griffin, p.42

7DUMAS Mireille, "Bas les masques"du 11/10/1995, "Attention jeux dangereux", à 2'45

8Terme représentant un GN de petite taille : peu de joueurs, peu d'espace, peu de temps

9BONVOISIN Daniel et BARHOLEYNS Gil, La création ludique est-elle soluble dans le pratrimoine ? Culture et communauté du jeu de rôle grandeur nature, in Les cahiers d'ethnologie de la France n°26, octobre 2011,

10http://www.wargs.org/calendrier/mercredis-de-l-antigel/

11Everett Cherringtone Hugues, Student'Culture and Perspective : lectures on Medical and General Education (Lawrence Kansas : university of kansas law school, 1961) p.28-29 in Outsiders Howard Becker

12WINNICOTT Donald Wild, Jeu et réalité, l'espace potentiel, 1975, Ed Gallimard,

13http://www.ffjdr.org/

14PECHEUR Raphael, mémoire de fin d'étude à l'université de Montrél : La stigmatisation d'une sous-culture : étiquetage, marginalisation et déviance. Étude d'une communauté de joueurs de jeux de rôle parisiens, Avril 2006.p.44

15PECHEUR Raphael, mémoire de fin d'étude à l'université de Montrél : La stigmatisation d'une sous-culture : étiquetage, marginalisation et déviance. Étude d'une communauté de joueurs de jeux de rôle parisiens, Avril 2006.p.131

16BECKER Howard, Outsiders, 1985, Ed Métailié. p.103

17 PEROTIN Julien, mémoire de fin d'étude : L'imaginaire comme outil de l'animation socio-culturelle : Le chant de la cigale dans la fourmilière, le journal de l'animation, n°110, octobre 2010

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