Représentation sociale et GN

Introduction

« Un jour, le roi fit venir en son palais des aveugles du royaume. Il les invita à entrer dans la salle où se tenait l'éléphant sacré. Quand ils furent rassemblés, il leurs présenta l'animal qu'ils purent toucher : le premier toucha une défense et pensa à une lance, le second toucha un côté et pensa à un mur, le troisième toucha une jambe et pensa à un tronc d'arbre, le quatrième toucha la trompe et pensa à un serpent, le cinquième toucha une oreille et pensa à une large feuille, le sixième toucha la queue et pensa à une liane,etc. Le roi leur demanda alors de s'entendre sur ce qu'ils avaient touché. En quelques minutes, les aveugles s’entre-tuèrent. » Cette légende issus des mythes de la ville de Shravasti représente le thème de cet écrit au sujet des représentations sociales. Nous mettrons en relation se sujet avec la définition d'un dispositif ludique à travers l'exemple du jeu de rôle grandeur nature.

Le jeu est un facteur fondamental de tout ce qui se produit au monde. Après avoir défini le jeu comme une action libre, sentie comme fictive et située en dehors de la vie courante, capable néanmoins d'absorber totalement le joueur et susciter des relations de groupes s'entourant volontier de mystère, Johan Huizinga dans son ouvrage Homo Ludens montre la présence extrêmement active et féconde du jeu dans l'avènement de toutes les grandes formes de la vie collective : culte, poésie, musique et danse, sagesse et science, droit, combat et guerre. Il est catégorisé par R.Caillois entre la quête du challenge à travers l'Agôn, la quête du hasard par l'Aléa, la quête du simulacre par le Mimicry et enfin par la recherche de sensation forte par l'illinx.

Le jeu de rôle grandeur nature (abrégé en GN) est un jeu se rapprochant de l'aspect Mimicry théorisé par R.Caillois dans son ouvrage sur des jeux et des hommes, dans lequel les participants interprètent physiquement des personnages. Ces participants improvisent les comportements de leur personnage et interagissent entre eux selon une situation prédéfinie. Un GN ne s’adresse pas à un public extérieur mais à ses participants qui sont à la fois les acteurs et les spectateurs du jeu. Les comportements peuvent être interprétés en suivant des règles de simulation.

A travers cet écrit, nous tenterons de présenter ce qu'est une représentation sociale pour ensuite percevoir la représentation sociale du jeu pour enfin finir sur les représentations sociales du sujet de recherche à travers les médias et les joueurs.

1La représentation sociale

La représentation a cette qualité de vouloir rendre l'invisible visible et l'absent présent. Elle peut se qualifier d'être scientifique avec cette quête de la vérité naturelle, religieuse avec ses croyances et ses dogmes, politique avec ses délégations et son système, artistique avec ses œuvres et ses créations, individuelle et proche de nos idées ou enfin sociale.

Représentation sociale, se re-présenter, pouvoir rendre présent l'absent en le positionnant face à nos yeux déjà bafoués par tant d'empirisime et de sensibilité. Repositionner devant nous l'image de l'absent et ainsi se l'idéaliser car projeter une idée c'est avant tout la repenser et lui donner corps à travers une image provenant du fond d'un régime aurore, loin du diurne et du nocturne de G.Durand. Elle peut être au fondement de la pensée, proche de l'arbitraire et issue d'un inconscient ou d'un imaginaire. Elle est le produit d'interactions tout autant que nos représentations individuelles.

Pour le père fondateur de la sociologie française, les représentations sociales peuvent se définir ainsi :

« […] les représentations, une fois qu'elles existent, continuent à être par elles-mêmes sans que leur existence dépende perpétuellement de l'état des centres nerveux, si elles sont susceptibles d'agir directement les unes sur les autres, de se combiner d'après des lois qui leur sont propres, c'est donc qu'elles sont des réalités qui, tout en soutenant avec leur substrat d'intimes rapports, en sont pourtant indépendants dans une certaine mesure 1 »

à travers son ouvrage l'auteur décribilise l'hypothèse de percevoir dans les représentations collectives ou individuelles des caractéristiques éphémères ou biologiques. De plus il appuie son travail sur une dialectique prônant la différenciation entre une représentation individuelle qu'il est possible de rapprocher de la notion d'idée et une représentation collective qui s'apparente à l'interprétation collective d'un phénomène. E.Durkheim s’arrête ici sur un postulat qui décrit une représentation comme l'existence, indépendante des centres nerveux, d'idées capable d'interagir les unes aux autres d'après des lois qui leur sont propres tout en restant unique. L'auteur dédie d'ailleurs leurs études à la psychologie sociale qui reste, d'après lui, la discipline la plus à même de comprendre le psyché en pensant le cognitif comme du social et les propriétés de la cognition comme quelque chose de social relié à l'affectif et au symbolique.

Le second auteur à marquer la définition de la représentation sociale est Denise Jodelet avec son article dans l’œuvre de Moscovici au sujet de la psychologie sociale.

« Le concept de représentation sociale désigne une forme de connaissance spécifique, le savoir de sens commun, dont les contenus manifestent l'opération de processus génératifs et fonctionnels socialement marqués. Plus largement, il désigne une forme de pensée sociale. Les représentations sociales sont des modalités de pensée pratique orientées vers la communication, la compréhension et la maîtrise de l'environnement social, matériel et idéal. En tant que telles, elles présentent des caractères spécifiques au plan de l'organisation des contenus, des opérations mentales et de la logique. Le marquage social des contenus ou des processus de représentation est à référer aux conditions et aux contextes dans lesquels émergent les représentations, aux communications par lesquelles elles circulent, aux fonctions qu'elles servent dans l'interaction avec le monde et les autres. 2»

L'auteure présente les représentations sociales comme une forme de pensée collective orientées vers la communication, la compréhension et la maîtrise du monde dans laquelle elles s'inscrivent. Elles sont conditionnées par le contexte, les fonctions et les interactions dont elles sont issues.

S.Moscovici s'inspire de la théorie de E.Durkheim narrant que les résentations sont une image commune d'un fait. Il rajoute dans son ouvrage au sujet de la psychologie sociale qu'en reprenant l'idée d'une interprétation collective d'un phénomène, Moscovici a ouvert un vaste champ de recherches en psychologie sociale en proposant la théorie des représentations sociales. Le concept de représentation désigne

« une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d'une réalité commune à un ensemble social ».

Pour Moscovici, la Représentation sociale a une double vocation : permettre aux individus de se positionner socialement par rapport à un objet, et fournir aux membres d'une communauté un référentiel commun pour la communication3. La représentation sociale devient nécessaire à une communauté afin de posséder un référentiel commun pour créer une synergie et provoquer l'exclusion des personnes ne possédant pas les mêmes représentations que le groupe, de plus elle permet à chaque sujet de se positionner vis à vis d'un objet et à l'inverse de percevoir comment chaque objet influence le sujet à partir du moment ou les représentations changent.

La notion de groupe vient appuyer l'aspect collectif de la représentation sociale qui d'après S.Moscovici et D.Jodelet permet d'appuyer la synergie du groupe sur des idées communes :

« la représentation sociale peut dans la perspective d'être la connaissance que l'individu prend du monde ainsi que ses interactions sociales, être définit comme une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique concourante à la construction d'une réalité commune à un ensemble social »4.

Pour conclure, le sociologue a cette charge d'étudier et de comprendre les représentations sociales en créant de nouvelles représentations autant pour sa légitimité vis à vis de la communauté scientifique que pour les experts qui s'intéressent et se questionnent sur le sujet. Ainsi il est possible de dire que la réalité se présente à notre perception, nous nous la représentons en nous forgeant des images du monde, des autres et de nous-mêmes. Ces représentations, dues à l'imagination et à l'intelligence, permettent de se constituer des repères. Ses représentations sociales à travers le signifiant et le signifié qu'elles véhiculent influent notre comportement.

Prenons à présent l'exemple du jeu pour comprendre cette notion de représentation sociale comme nous venons de le décrire.

2La représentation sociale du jeu

La représentation sociale de l'objet jeu se définit par rapport à un premier critère qui est celui du divertissement et de l'amusement. L'objet jeu est souvent mis en corrélation par le sujet dans une logique de loisir. Le jeu est souvent assimilé au monde de l'enfance et de son insouciance et pourtant tout le monde joue.

1Le jeu d'après Johan Huizinga

Tout le monde joue, et ceci n'est pas qu'un fait culturel. Le jeu est plus ancien que la culture d'après Johan Huizinga qui explique que les animaux n'ont pas attendus la naissance de la culture et de l'humanité pour jouer. De plus l'auteur rajoute que tout être pensant pourrait se représenter cette réalité de jeu.

« Dans notre conscience, l'idée de jeu s'oppose à celle de sérieux »5. On peut comprendre sous la notion de conscience l'idée de représentation et l'auteur montre l'aspect non-sérieux de l'activité perçu dans la conscience collective. Il présente ainsi objectivement comment il est possible de considérer sérieusement une chose représentée non-sérieusement. L'auteur se contredit involontairement puisque nombre de ses exemples dans le texte sont relatifs à l'activité ludique des enfants en les mettant en scène à travers des observations qu'il a effectué. L'hypothèse de vouloir traiter un sujet comme un objet sérieux tout en exploitant des exemples qui le représente comme non-sérieux est antinomique et remet en question la parole du sage sur son sujet.

« le jeu est une lutte pour quelque chose, ou une représentation de quelque chose »6. L'auteur exprime l'un des fondements du jeu qui est de rendre présent un absent à travers une opération ludique : un combat ou un concours. Pour approfondir cette image du jeu, l'auteur prend exemple sur les jeux enfantins et les représentations sacrées en narrant que c'est plus que la simple réalisation d'une apparence mais aussi une réalisation symbolique qui dans un cadre spatio-temporel bien précis rend présent une réalisation mystique pour les représentations sacrées et une mimique du réel pour les représentations enfantines. Pour approfondir sur l'aspect représentation sacrée, l'auteur met en comparaison le rituel du culte avec un spectacle, une représentation dramatique, où l'objectif à travers l'interprétation du rôle est de rendre hommage, de gagner les faveur d'une divinité ou tout autre chose.

Le jeu, à travers le cadre qu'il pose, est une représentation d'une chose, que ce soit l'exemple de l'extermination de l'adversaire comme au jeu de dames, ou simplement de domination comme au jeu d'échec. Le jeu a toujours une distance avec la réalité qui fait de lui une représentation sociale autant par son statut de jeu que par ce qu'il représente.

2Roger Caillois

Dans son introduction l'auteur perçoit que la représentions sociale du jeu à son époque correspond à des notions d'aisance, de risque ou d'habileté qui entraîne immanquablement un sentiment de délassement ou de divertissement et qui s'oppose ainsi au sérieux et au travail dans ses qualités de frivole et de stérile. En 1958, le jeu est perçu d'après Roger Caillois comme un divertissement non-sérieux qui s'oppose au travail par son aspect futile et non productif. Il rejoint le point de vue de Johan Huizinga au sujet de l'image non-sérieux qu'on rapproche à l'objet ludique. Néanmoins l'auteur désigne le jeu comme

« non seulement l'activité spécifique qu'il nomme, mais encore la totalité des figures, des symboles ou des instruments nécessaires à cette activité ou au fonctionnement d'un ensemble complexe ».

Le jeu n'est plus un objet déterminant de la culture, il devient un ensemble de signifiant et de signifié qui interagissent dans un ensemble alambiqué de fonctionnement. La notion de jeu se regroupe avec la notion de signes car derrière chaque processus ludique, que ce soit au niveau de la création ou au niveau de l'investissement dans le jeu, il y a un ensemble de représentations qui s'articulent pour promouvoir un monde absent.

Il approfondit deux visages d'une approche du jeu. La première met en exergue le point de vue de Jean Giraudoux dans son ouvrage sans pouvoirs ou il montre que « tout déchoit dans le jeu », que le jeu repose sur des croyances perdues et des rites insignifiants. Le jeu devient une dégradation de l'activité des adultes où le non-sérieux devient une distraction. À l'inverse le second point met en avant le point de vue de Johan Huizinga, déjà démontré, qui valorise la théorie que la culture vient du jeu et que ce jeu est tout autant fantaisie, invention, liberté et discipline en même temps. L'auteur appuie sa propre théorie en expliquant que « l'esprit de jeu est essentiel à la culture, mais jeux et jouets, au cours de l'histoire, sont bien les résidus de celle-ci »7. Il prend l'exemple du masque pour appuyer ses dires et met en avant l'aspect sacré et universel de cet objet répandus qui, transit au statut de jouet, marque la mutation d'une civilisation.

Il permet d'appuyer que jouer est aussi une notion d'imitation, de représentation de l'absent à travers l'exemple du jeu symbolique des enfants qui s'amusent à refaire la vie religieuse ou la vie militaire en trouvant un plaisir à se conduire comme des adultes.

3Le jeu pour D.W.Winnicott

Pour le psychologue D.W.Winnicott, le jeu a une toute autre représentation. D'abord, comme les deux premiers auteurs, il fait un état des lieux en mettant en avant que le jeu n'est socialement pas pris au sérieux et il est souvent relayé au niveau de l'enfantin et de l'activité juvénile. Le jeu est une notion centrale dans l’œuvre de Winnicott en prenant le partie que le jeu n'est pas que le reflet des représentations internes de l'enfant mais aussi le témoignage de l'impact de l'environnement sur son développement.

Les psychologues perçoivent d'ailleurs dans le jeu, tout comme dans le rêve, un moyen d'analyser les représentations internes, symboliques de l'enfant. Il ne peut être considéré comme futile ou simplement récréatif, c'est une mise en scène des tensions psychiques et un moyen thérapeutique. Le jeu, en tant qu'acte créateur, n'est pas restreint à la subjectivité de l'individu mais se joue à la limite entre ce qui est subjectif et ce qui est objectivement perçu. Il se conçoit chez l'enfant à travers le jeu symbolique et chez l'adulte à travers des expériences dites culturelles comme l'art, la philosophie ou la religion.

L'aspect intéressant dans la représentation du jeu par cet auteur est que contrairement à ses homologues il considère le jeu pour repenser la technique d'analyse alors que normalement on transpose le jeu à la théorie analytique. Le jeu devient la représentation d'un contenant permettant de ne plus être considéré comme un simple outil mais comme un ensemble dynamique de signifiants et de signifiés qui incite à reconsidérer la méthode psychanalytique.

Maintenant qu'il a été montré les différentes représentations sociales du jeu par des théorisations d'experts de la réflexion autour de cet objet, il est temps d'approcher l'axe central de cette recherche qui est le dispositif ludique : le jeu de rôle grandeur nature.

3La représentation sociale du jeu de rôle grandeur nature

1Les professionnels

Il faut prendre en compte que si je jeu est souvent perçu par les individus comme une activité non-sérieuse et non-productive, le jeu de rôle est encore plus mal perçu avec des représentations encore plus forte dans la stigmatisation d'une pratique pour jeunes en quête d'identité qui sont à la recherche d'émotions fortes à travers des rituels sataniques et activités de faible éthique. Cette représentation sociale dévalorisante de l'activité a eu pour effet de marquer le non-sérieux de cette pratique et donc un désintérêt important de la part de la communauté scientifique même si il faut noter que depuis quelques années, le nombre de chercheurs dans ce domaine devient de plus en plus important.

Laurent Tremel, par exemple, perçoit dans le jeu de rôle et ses dérivés, une pratique socialisante qui appuie sur les aspects créatifs et d'imagination de l'individu. Olivier Caïra se représente le jeu de rôle comme un loisir capable de faire revivre le passé, Daniel Bonvoisin l'imagine comme une activité en relation avec les arts vivants et les arts plastiques,etc.

C'est un objet qui relaye un bon nombre de représentation de la part des chercheurs pour la raison qu'il est lui-même multiple. Avec des niveaux de signifiant différents entre les règles du jeu, le cadre de l'univers, l'intrigue, les joueurs, les organisateurs, etc. Une représentation sociale est la mise en interaction de plusieurs représentations entre elles. Le niveau d'analyse est multiple et donc impossible d'être approché d'une manière éphémère.

2L'exemple des médias

Pour analyser une représentation sociale, il faut s'axer sur l'image qui se construit socialement d'un objet et par là-même son évolution. L'exemple du médias est tout à fait adéquat pour cette situation. En 1995, l'affaire de la profanation du cimetière juif de Carpentras avait entraîné une médiatisation de préjugés sur les joueurs de jeux de rôles et leurs pratiques en les pensant comme des jeunes avec des problèmes sociaux et mentaux qui cherchent à faire des rituels sataniques dans les cimetières et les vieux châteaux pour paraphraser Mireille Dumas dans son émission Bas les masques de novembre 1995. Une activité alors inconnue du grand public devient la cause principale de la profanation d'un cimetière et donc une représentation sociale négative se construit autour de cette pratique.

L'image que les médias transmettent est différente de l'analyse du politologue Daniel Bonvoisin car lorsqu'on effectue une recherche simple sur la présence des mots « jeu de rôle grandeur nature » dans les journaux sur l'année civile 2011, on perçoit une interprétation différente. On découvre qu'il y a environ 1/3 des articles (au nombre de 30) qui traitent d'un divertissement pour la jeunesse à travers des actions misent en place par des associations socioculturelles, 1/3 correspondent à un rapprochement avec les reconstitutions historiques qui cherchent à reproduire l'histoire par une dimension de recherche historique et qui ne cherchent pas à jouer des rôles et une aventure, et enfin 1/3 des articles traitent d'un jeune qui, après avoir tué son frère est parti s'isoler en forêt avec son équipement de GN de soldat avant de se donner la mort. Cela montre qu'à travers les médias les représentations sont très loin du discours des professionnels qui cherchent à mettre en avant l'aspect social, culturel, ludique, technique de cet art.

3Le Terrain

A travers les quelques entretiens exploratoires que cette recherche m'a permis de faire, j'ai découvert que les joueurs ont une vision différente de leur pratique, loin de l'analyse médiatique et du discours des experts. Ils perçoivent le GN comme un loisir qui se rapproche du divertissement, à l'encontre d'une logique de clientélisme. Les entretenus voyaient dans le GN autant un moyens de se défouler à travers une activité physique, qu'un moyens de rencontrer une communauté avec laquelle il y a des infinités.

Dans les entretiens, l'aspect synergie d'une communauté, d'un groupe social ayant des valeurs proches a aussi été révélé, que ce soit générateur à travers des projets communs ou simplement de critique de certaines pratiques ou de même de certains objets. Leurs discours n'est pas moins celui d'une communauté qui se comprend par des codes communs, des références intellectuelles communes, des techniques spécifiques à leur loisir.

À l'inverse, ils ne perçoivent pas cette activité en terme artistique, mais bien plus en terme d'univers ludique avec une facette théâtrale non négligeable puisque obligatoire pour répondre au critère de « jouer un rôle » et respecter ce rôle et ce contrat ludique.

4Ma représentation du jeu de rôle grandeur nature

Il n'est à mon avis pas possible de rendre compte d'un travail sur un objet comme ce dispositif ludique sans avoir un travail d'introspection pour analyser ses propres représentations de notre objet d'étude.

1comme chercheur

Dans une posture de jeune chercheur en sciences sociales, on nous incite à être dans la démarche de simulation d'une recherche en science sociale comme une thèse, sans pour autant être dans la contrainte financière ou la vie de laboratoire. Le jeu de rôle grandeur nature est représentatif d'un sujet qui m'interpelle, me passionne et me questionne : comme toutes activités ludique, il est perçu comme non-sérieux et non-productifs.

Le jeu est perçu comme une activité non-sérieuse et non-productif en prenant position que tout ce que fait l'homme se doit d'être sérieux et productif. Mais le jeu est supposé être antérieur à l'homme et à sa culture car, comme cela a été exprimé par J.Huizinga, le jeu existe autant chez les animaux que chez les hommes et cela dans toutes les civilisations. Le jugement posé sur le jeu et sa non-rationalité m'évoque un malaise vis à vis de la société actuelle et de cette nécessité de production et de sérieux omniprésente tout autour de nous. Ne percevant pas le sérieux de la vie, de l'univers et du reste alors que durant des années de scolarités on m'a fortement incité à l'être, il est devenu logique de travailler sur du non-sérieux afin de devenir sérieux, avoir un master en socio-anthropologie reste un statut sérieux même si on l'obtient à travers des sujets non-sérieux, comme le jeu.

Plus particulièrement, cette pratique est un loisirs qui s'évertue à mettre en scène une représentation fictive de la réalité à travers deux cadres : le premier est le cadre ludique avec ses règles, le second est le cadre fictionnelle de l'univers avec les mœurs, les coutumes, les valeurs nécessaires à la cohésion et au déroulement du jeu... Les joueurs autant que les organisateurs cherchent à construire des utopies éphémères dans des lieux insolites en repensant et en se recréant une société différente où chacun joue un personnage. C'est ici, dans ce processus de création que la question essentielle du GN est, mais par un soucis d'humilité et de faisabilité, cet écrit se contentera de présenter le dispositif ludique à travers une étude empirique.

2comme joueur

Contrairement à d'autres, ma recherche n'est pas absente de ma vie quotidienne, étant moi-même joueur et organisateur de GN dans une association grenobloise. Il y a 6 ans j'ai commencé cette pratique et depuis j'ai ressenti un besoin de m'investir associativement dans cette activité en prenant une place au bureau d'une association, en participant à l'organisation de conventions, en rédigeant des articles et des fiches techniques, en organisant régulièrement des GN ou activités similaires,etc.

Actuellement, cette activité est devenu pour moi un moyen de rentabilité ce qui a eu pour effet de changer ma perception de cette pratique. Ma formation, mon investissement associatifs et les actions que j'ai mené au sein de différentes associations m'ont permis de devenir maintenant formateur d'animateurs ou de professionnels du jeu autour du sujet du GN et de ce qu'il véhicule.

Personnellement, je considère le jeu de rôle grandeur nature selon deux point de vue, c'est un loisir ludique à tendance artistique. Un loisir car la première attente dans un GN est celui du divertissement et de l'amusement à travers le besoin de s'échapper de la vie quotidienne et de sa banalité. Le second critère est celui du jeu comme il est décrit plus haut, ce loisirs est un jeu non-productif avec des gagnants, des perdants, et un cadre spatial, temporel régulés. Ce jeu est artistique car il y a une démarche de création autant de la part des organisateurs au moment de l'écriture que des joueurs durant la création des costumes et des accessoires nécessaires au jeu. Le second point de vue est celui de la quête d'évasion car à travers le GN je cherche un loisir qui me sépare de mon quotidien et de sa banalité, je cherche l'insolite et l'aventure dans un monde épique loin des monstres publicitaires et des violences de la vie quotidienne.

1DURKHEIM Emile, Sociologie et philosophie, 1924, Ed PUF, p.32

2JODELET Denise. Représentations sociales : phénomènes, concepts et théorie. In : MOSCOVICI Serge, Psychologie sociale,1984, Ed PUF, p. 358.

3KATERELOS Loannis, Représentation sociale de la drogue chez les jeunes Grecs, 2003, Ed Psychotropes, p.78

4AMOSSY Ruth & PIERROT-HERSHBERG Anne, Stéréotypes et cliché, 2007, Ed Armand Colin p .50

5HUIZINGA Johan, Homo Ludens, 1988, Ed Gallimard. p.22

6Op cit p.35

7CAILLOIS Roger, Les jeux et les hommes, 1958, Ed Gallimard. p126

Retour à l'accueil